Linh-Lan Dao : l’histoire d’une journaliste bâtisseuse de ponts

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6 min readDec 14, 2020

Face aux discriminations et aux violences dont sont victimes les personnes racisées, Linh-Lan Dao ouvre la voie. Elle construit au quotidien des ponts entre journalisme et militantisme, reliant les espaces d’expression majoritaires et les voix minoritaires.

Les photos ont été prises au Cà Phê Broc’Ouest. Un lieu qui est à la fois une brocante, un café et un restaurant vietnamien. Linh-Lan y retourne souvent pour la chaleurosité des gérants et leur cuisine familiale.

“Je prends la parole pour des raisons tristes, mais je pense que c’est nécessaire.” En février 2017, la vidéo “Ne me dites plus jamais “tching tchong” marque un tournant dans la lutte contre le racisme anti-asiatique. Quelques semaines après le sketch de Kev Adams et Gad Elmaleh, la journaliste Linh-Lan Dao exprime sa lassitude sur les blagues racistes et fait de la pédagogie sur les micro-agressions subies par la communauté asiatique en France. Et cela se passe sur Franceinfo télévision, un grand média national. Nous sommes à un tournant car la parole anti-raciste asiatique commence à se libérer, et la vidéo de Linh-Lan Dao y contribue grandement.

Linh-Lan l’avoue : elle n’aurait certainement pas eu la même prise de conscience si elle n’avait pas été journaliste. Aujourd’hui, elle met ses compétences professionnelles au service d’une cause qui la concerne directement. Linh-Lan a l’atout de connaître les médias et leur fonctionnement. Elle constate encore un manque de diversité au sein des têtes pensantes et des rédacteurs-en-chef mais cela n’empêche pas que sur le terrain, quand une actualité tombe, il est possible de frapper fort et d’occuper le maximum d’espace médiatique. La Covid-19 a accéléré la parole raciste à l’encontre des Asiatiques, dépassant la simple blague et allant jusqu’à l’incitation à la violence. Dans ce contexte, Linh-Lan a souhaité donner et amplifier la parole des personnes de la communauté qu’elle estime plus légitimes, telles que les victimes ou les associations (Sécurité pour Tous, AJCF). “Il y a une évolution entre la première génération d’immigrés et la nôtre qui a vraiment besoin de s’exprimer sur le racisme anti-Asiatique”, observe-t-elle. Linh-Lan prend son rôle à cœur en tant que membre de la communauté : recueillir des témoignages et véhiculer la parole des victimes, ces dernières se sentant plus en confiance à se confier à une personne concernée susceptible de faire davantage preuve d’empathie.

Il lui faut toutefois trouver un équilibre délicat entre son métier de journaliste qui lui impose par essence la neutralité et un combat militant : “Je ne pourrai personnellement pas être à la fois journaliste et militante dans une association”, nous confie-t-elle. Linh-Lan est néanmoins convaincue de la compatibilité des deux, et se dit militante, le militantisme pouvant se manifester par une multitude de biais. Pour preuve, elle travaille actuellement sur un projet de livre sur le racisme anti-Asiatique (qu’elle qualifie de militant en “sous-marin”). Il servirait d’outil de référence pour compléter un discours actuel encore trop basé, à son goût, sur des anecdotes et des témoignages, plutôt que sur des chiffres. Entre journalisme et militantisme, Linh-Lan ne choisit pas.

Entre la culture vietnamienne et française, elle ne choisit pas non plus. Sur la question de l’identité, elle parvient à trouver le bon équilibre entre le Vietnam et la France : “Je me suis toujours sentie française tout en cohabitant avec la culture vietnamienne à la maison”, nous dit-elle. Par souci d’intégration, ses parents ont arrêté de parler vietnamien à son frère et elle. “Je parle vietnamien comme une vache espagnole”, plaisante-t-elle. Lorsque leurs parents les emmènent au Vietnam, elle prend conscience que ce pays n’est pas le sien, mais qu’il y a tout de même toute une civilisation qui partage ses valeurs. Construire un héritage de toute pièce qui serait artificiel ne l’intéresse pas, sa double culture est un plus et puise dans le meilleur des deux. Parmi les valeurs transmises par ses parents, la notion d’excellence a irrigué certaines des décisions-clés de la vie de Linh-Lan.

Linh-Lan nous confie être une personne indécise et se laisse porter là où l’excellence l’emmène. Baccalauréat ES en poche, elle n’a aucune idée de la carrière qu’elle va entreprendre. Alors que sa mère l’accompagne voir les prépas d’art (petite déjà, elle souhaitait être illustratrice de bandes-dessinées), celle-ci l’avertit : “Si tu dois être illustratrice, tu dois être la meilleure !” Être la meilleure quelle que soit la voie qu’elle emprunte, c’est ainsi que Linh-Lan dessine sa carrière. Elle entre donc à Sciences Po, tant par pragmatisme que pour le prestige de l’école. En troisième année, elle hésite entre le droit et le journalisme. Elle tente le concours sans avoir une préférence particulière et est reçue en école de journalisme. Elle ne regrettera rien et affirme qu’être tombée dans le journalisme, c’est pour elle comme “tomber sur son premier amour du premier coup”. Même si elle avoue que sa vie aurait été sûrement tout à fait différente si elle avait suivi la voie de l’illustration. Qui sait, peut-être qu’un jour elle reprendra la voie des études de dessin pour sa seconde vie ? Dans tous les cas, Linh-Lan exercera un métier qui l’animera. Elle pense à son père qui aspirait à être poète et écrivain, et qui une fois arrivé en France est passé comptable, expert-comptable et sous-directeur de banque (alors qu’il était “une quiche en maths”) pour nourrir sa famille. “S’il a autant trimé, ce n’est pas pour que je fasse un métier qui m’ennuie”, conclut-elle.

Pour qualifier son histoire, Linh-Lan utilise le mot progrès. Progrès dans la construction de soi. Elle souligne l’importance qu’a eue son professeur de piano qui a incarné le parent de substitution durant son adolescence, alors que son père était absent et qu’elle avait une relation compliquée avec sa mère. “J’étais une personne négative et je n’étais pas heureuse”, nous confie-t-elle. Ayant peu confiance en elle, Linh-Lan tendait à se réfugier dans ses bonnes notes, seul salut lui permettant de se convaincre qu’elle était quelqu’un de bien. Son professeur de piano était sa béquille, et fut la seule personne à ne jamais douter d’elle durant ces années difficiles de sa vie.

Progrès dans la compréhension de soi. Invitée sur le podcast de Duolingo, Linh-Lan affirme que celui-ci lui a permis d’ouvrir la voie et de mettre des mots sur un mal-être qui pouvait exister (celui lié à notre double identité ou au racisme anti-Asiatique). Aujourd’hui, elle voit clairement le positif et la richesse de cette double culture — alors qu’il y a des années de cela, elle aurait tout simplement intériorisé le racisme. Aujourd’hui, son combat contre le racisme en général et contre le racisme anti-Asiatique (“car personne ne le fera à notre place”) en particulier est clair. Linh-Lan veut aller au-delà de la simple dénonciation pour porter un message de vivre ensemble. Un combat que soutiennent aussi bien ses proches que certains de ses parents de la première génération.

Linh-Lan est une personne indécise. Mais après tout, pourquoi toujours vouloir choisir ? Sur sa double culture, elle affirme : “Personne ne me fera choisir entre les deux car cela n’aurait pas de sens”. Entre journalisme et militantisme, son non-choix est aussi fait.

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